Avancer

Cheminer au mieux

A portée de vue,

Rencontres.

Accepter l’épaisseur

du temps

Ici ou là-bas

Partir

Levée du soleil. Départ.

Emprunter dès que possible l’itinéraire des traces du cheval de Luisa et penser à son écharpe en laine de lama laissée tombé quelque part. Première traversée du rio. Pieds au dessus de l’eau. Une autre traversée pour les sacs, sortir vite ! Frictions au pashmina imprégné d’amour pour deblanchir. Les deux montagnes se resserrent. Nature froide et endormie. Se réjouir du passé et chercher l’itinéraire le plus productif. Tenir compte des variables environne-mentales et autres paramètres plus personnels afin d’obtenir une réduction des coûts sur la valeur des expériences des marches subaquatiques. Risquer donc les équilibres sur pierres instables ou glissantes, autres sauts ou escalades, et profiter des instants de lumières aveuglantes.

Suivre le lit

Faire son chemin

S’aider des traces

Maison en terre

Premier visage sans soleil

Peau d’un autre âge et vie de même

Passer vite.

Plus tard la lune

Pleine hier

Nos ombres se tarissent

Pas à pas.

A me poser la question avant d’errer à nouveau dans des lieux inconnus je répondais par le fait que le voyage était lui aussi victime d’un détournement de fond perpétré par le processus d’un système où la consommation est la condition de notre respiration.

Humahuaca



Un ancien guardaparque  qui tenait un café à l’angle de la vieille église du village nous racontait ses péripéties face aux contrebandiers de cocaïne qui passaient sur les territoires indigènes. L’homme parcourait de nuit la montagne avec son fusil et ramenait les malfrats au poste. Il connaissait la montagne. Forts de son expérience et de cette confiance accordée nous partîmes pour un court périple dans la Quebrada d’Ocumazo avec dans un coin de la tête des informations suffisamment synthétiques pour rendre le papier superflu : deux noms de village et la direction d’un chemin, celui qui descendait « de ce côté ».

A deux, balade. Non course contre la montre. 4000m. Hornacales et poulet de la veille. Message en direct live. Descendre à Cienzo mille mètres plus bas et à droite du cimetière rentrer dans la vallée quelques heures.

Etre confronté dans la pénombre aux aboiements d’un collectif canin est assez saisissant d’effroi, bien que dans les heures précédentes, nos oreilles consacraient leur temps à nous bercer dans la douce mélodie du rio. Les sons agressifs nous dominant se font au fil des secondes plus précis, plus forts, plus proches. Distinguer le relief et les formes agissantes. Pierre à la main (adrenaline et sang froid), l’instinct de survie parvient très vite au niveau de la conscience.

Destination: provinces de Salta et Jujuy.


Règles du jeu: le bouche à oreille et accepter de se perdre.

Luisa et ses chiens.

Une voix de femme calme la meute. Sortir du lit et monter à sa rencontre. Nos ombres parlent. Invitation pour la nuit. Aller directement dans l’enclos aux chèvres, saisir une patte puis le cou. Difficile. Faire téter les nouveaux nés. Sortir. Ramasser du bois, entrer dans le noir, allumer le feu.

La lueur des flammes nous dévoile un âge aux traits profonds. Assise, la coya aux yeux pétillants et aux gestes sûrs met un morceau de sa vie à côté du fromage, du chicha, du mate et nous.

La chambre. Deux lits, odeur d’animal à faire fromage corse non AOC. Piles de vêtements et un transistor lecteur DVD à l’abri de la poussière. Lier le positif et le négatif : cinq minutes de cumbia. Moment intransigeant avant l’expérience du sommeil à fragments invariables :

comment vivre le règne d’une horloge déversant à chaque heure ses humeurs que le kitch a classé au patrimoine musical mondial de l’Unesco pendant que sa propriétaire insomniaque chique la coca. Voilà un trésor d’humanité.

Finalement pour dormir tranquille, mieux vaut un appartement centre ville. Chacun possède au moins son myorelaxant ou antidépresseur dans la salle de bain, et si le voisin dérange on peut toujours faire appel au 112.


Midi. Définir Ocumazo comme lieu géographique.

Le rio si intime ce matin s’est fondu dans un lit bien trop grand pour lui et pour nous. Au bord, les maisons solitaires, rares et éloignées, se détendent au milieu des arbres fruitiers. De la fumée au loin. Ne pas déranger le taureau mais chercher le drapeau blanc et bleu. Dans le champ un épouvantail remue la terre au rythme de son taux d’alcool élevé. L’école n’est pas loin. La veille célébrait le dernier soir consacré à la Pachamama. Aujourd’hui sera l’ultime jour pour les offrandes.


13h Etre invité à manger au réfectoire, les filles à droites, nous au milieu. Classe ou quartier libre. 16 heures. Les vingt tortillas sortent du four. Goûter puis descente du drapeau dans une atmosphère de respect, fierté, envie, patriotisme. 16h30. Le minibus quitte l’école et arpente la piste montagneuse plus tôt qu’à l’accoutumée. S’arrêter au sommet de la côte, point belvédère, être invité par les maîtres à remercier la Pachamama de nous accueillir en son sein. Accepter de participer au rituel et rejoindre le monticule de pierres aux cadavres de bouteilles.

Malgré nos efforts stratégiques

les chaussures continuent à être balancées au rythme des courbes du rio sur l’autre rive parmi les cailloux en évitant les arbustes épineux et autres cactus géants. Nature sans sentiments, grandeur d’âme.

Développer l’instant dans sa libre expression en acceptant les limites de notre univers.

Souvenir d’une discussion avec un autre Luis des hautes alpes. Les nouveaux arrivants venant peupler à l’année le village pour fuir la ville et gagner en tranquillité  ne supportaient point le chant du coq au lever du jour ni l’odeur du fumier. Paraîtrait qu’il y aurait eu des plaintes.

Réveil tôt. Il semblerait que les cinq heures n’ont pas poussé la chansonnette. Luisa en sortant laisse traîner dans l’air une agréable odeur mélange d’herbes aromatiques. Tenter la sortie du lit sans forcer. Arroser le même arbre que la veille. Chercher l’eau au rio. Chauffer l’eau. Couper le bois. Tortillas, mate et mote. Le fromage est dans l’estomac des chiens.

Buenos Aires, septembre 2009

 A.S.ressources-caravanedessuds.html